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Il y a vingt-six ans, tu as pointé le bout de ton petit nez aux abords du fleuve Connecticut, à Springfield. Avec ta mère, nous étions aux anges et avions le sourire aux lèvres dès que nous croisions ton regard. Tu ne le savais pas encore mais tu venais de naître avec un destin tout tracé. En effet, ta mère venait de donner naissance à l’unique héritière de Burton Industries. Nous espérions que tu reprennes un jour l’entreprise familiale, mais tu en as décidé autrement. Tu as pourtant eu une enfance agréable. L’entreprise pesait des milliards de dollars. Nous vivions dans le luxe. Tu n’as jamais manqué de rien. Très jeune, tu as appris les bonnes manières, comment bien se tenir en société et tenir une conversation intéressante avec des gens de la haute société. Tu as toujours été rayonnante et tout le monde nous enviait d’avoir une fille aussi adorable que toi. Mais à l’adolescence, ce monde de luxe et de bonnes manières commença à t’oppresser. Tu étais comme Rose dans le film Titanic qui voit cette petite fille à la table d’à côté posant délicatement sa serviette sur les genoux. Tu n’en voulais plus. Tu rêvais de te sentir libre et l’idée de reprendre l’entreprise que ton grand-père avait fondée, trente-cinq ans plus tôt, te donnait de plus en plus de boutons. Tu te sentais prisonnière de cette vie que l’on avait choisie pour toi. Un matin, alors que tu avais 14 ans, tu t’es enfuie de la maison. Nous t’avions retrouvé quelques jours plus tard chez l’une de tes amies. Avec ta mère, nous avions eu la peur de notre vie et craignions ne plus te revoir. Pour toi, ces quelques jours de liberté ont été les meilleurs moments de ta vie. Tu pouvais enfin faire ce que tu voulais. Tu espérais tellement quitter la maison familiale que tu as pris quelques semaines pour t’organiser et être prête pour ta nouvelle vie. Puis, tu es partie avec ta valise une nouvelle fois, mais cette fois-ci pour New York.
A New York, tes débuts ont été difficiles mais tu ne pouvais revenir à Springfield, aux cotillons et aux parties de polo interminables. Malgré ton jeune âge, tu as rapidement réussi à te faire une petite place dans les rues new-yorkaises. Tu fus recueillie par Marta, une vieille dame qui te voyait souvent voler des pommes ou des oranges sur les étals du marché. Elle t’offrit un lit et de la nourriture. Tu n’avais pas l’âge de travailler, mais tu tenais à payer ce que tu mangeais. Tu as donc fait du porte à porte pour vendre des gâteaux maisons que tu n’avais même pas fait. Tu as également fait signer de fausses pétitions et demander de l’argent pour les orphelins d’un pays lointain, ou encore arnaquer les touristes dans la rue avec le jeu des trois gobelets. Tu étais à des années lumières de ta vie d’avant, mais tu étais enfin libre d’être celle que tu voulais. D’ailleurs qui voulais-tu être ? Toute ta vie, on t’avait indiqué la bonne route à prendre, tu n’avais jamais réfléchis à ce que tu voulais être vraiment. Tu savais juste une chose, tu ne voulais plus être cette jeune fille bien élevée, participant à de nombreuses soirées pompeuses.
Tu es restée deux ans à New York puis tu eus envie de changement. Tu avais envie de voir le monde. Quand tu étais plus jeune, nous avions posé nos valises dans de nombreux pays, mais tu n’avais finalement pas vu grand-chose d’autre que les piscines et plages privées. Tu souhaitais découvrir le monde comme Marta l’avait fait. Quand il fallut choisir la destination, le nom de Jeffreys Bay te vint rapidement à l’esprit. Marta t’en avait souvent parlé comme l’endroit où elle avait rencontré son second mari. Tu fis donc tes valises, direction l’Afrique du Sud.
Comme à New York, tu as continué à vivre de quelques arnaques. Tu es devenu chasseuse d’esprit, cartomancienne ou encore une danseuse slovaque cherchant de l’argent pour faire venir son fils resté au pays. Tu as même travaillé pour le téléphone rose pendant quelques semaines. Tu peux être n’importe qui et c’est ce qui te plait le plus. Tu as été pendant des années cette fille bien sous tous rapports, au destin bien tracé. Tu es aujourd’hui n’importe qui. Tu t’amuses à être une autre, cette femme que tu aurais pu être si tu n’avais pas été une Burton.
Il y a un an, Marta t’apprenait que j’étais décédé dans un tragique accident d’avion. Malgré le fait que tu n’aimais pas la vie que l’on menait avec ta mère, on restait tes parents et ma mort fut comme un coup de poignard dans le cœur. Tu avais vécu ta vie sans penser qu’un jour, l’un de nous pouvait disparaître. Tu es venue à mon enterrement, mais tu es restée à l’écart. Je ne regrette qu’une chose : ne pas avoir vu celle que tu es devenue. Je me suis souvent demandé ce que tu faisais, à quoi ressemblait ta vie. Quelques années après ton départ de la maison, j’ai trouvé une carte postale dépassant du sac d’Isabel, notre femme de ménage. Cela peut paraître cliché mais tu es restée en contact avec elle. En lisant cette carte, j’ai ressentis que tu étais heureuse de la vie que tu menais. Cela me combla de joie. Après mon enterrement, tu as demandé à Marta d’aller voir ta mère pour lui donner de tes nouvelles. Tu ne le sais pas mais ta mère a engagé quelqu’un, quelques jours après, pour te retrouver. Mes associés à Burton Industries se disputent le trône qui te revient. Ta mère espère que tu reviendras, que tu reprendras ta place dans la famille. Elle laisse croire que ce n’est que pour le bien de l’entreprise qu’elle veut te retrouver, mais au plus profond d’elle, elle veut juste retrouver sa fille, qu’elle trouve terriblement immature.
Après m'avoir perdu, tu es sur le point de perdre Marta. Elle te l'avais caché mais elle est malade. Son état s'est aggravé et elle pourrait mourir dans trois jours, comme dans trois mois. Tu as toujours considéré Marta comme ta grand-mère. Tu ne veux pas être à des milliers de kilomètres quand elle rendra son dernier souffle, comme cela avait été le cas pour moi. Alors que tu ne voulais plus venir vivre aux Etats-Unis, tu as finalement accepté de travailler pour les San Marco qui venaient d'acheter un nouvel hôtel à New York. Dix ans après avoir quitter l'Amérique, te voilà à nouveau sur le continent qui t'a vu naître.